Paralpine – Traversée des Alpes par Guillaume Funck
25-07-2023
#Team
Guillaume Funck, un Belge de 25 ans accro à la montagne, a passé ces dernières semaines à réaliser un grand projet : traverser les Alpes de la Slovénie à Nice, en s'arrêtant en chemin pour escalader quelques montagnes emblématiques. Il a emporté avec lui une Base 2 Lite et une Anda.
6 juin 2023
Bonjour tout le monde,
Voilà presque une semaine qu'on est parti sur la traversée des Alpes avec Tonio. La météo n'est pas trop de notre côté jusqu'à maintenant. Heureusement, à peine arrivé, un petit créneau de beau se présente et on en profite pour monter au plus vite au refuge sous le Triglav. Après une nuit en bus, on commence la montée à 17h, le temps de faire les courses, se renseigner sur les conditions et d'arriver au pied de la montagne. Tout le monde nous a décourager à essayer le sommet, mais on dirait que personne ne fait vraiment d'alpinisme. Ça ressemble plutôt à une peur collective depuis l'un ou l'autre accident, ils ne se posent pas la question de savoir comment sont vraiment les conditions. Finalement cela se passe très bien, même si on s'enfonce bien dans la neige avec nos baskets trempées. Le cirque de parois dans lequel on évolue est magnifique, il faudra revenir en grimper l'une ou l'autre. On arrive enfin au refuge vers 22h, un peu fastidieux quand même. Le refuge est bizarre, on ne sait pas s'il est ouvert au public ou pas, on erre dans les couloirs en désordre, avant d'enfin croiser le gardien/météorologue qui fait une petite pause pipi dans sa nuit. Il est surpris de nous voir. Il nous fait payer la nuitée et nous dit qu'il pourra nous prêter piolet et crampons le lendemain matin. Réveil 5h, encore une petite nuit. Pas si utile de se lever si tôt finalement parce qu'on arrive à avoir le matos qu'à 7h passée. On fonce au sommet, ça se passe comme sur des roulettes même si c'est encore fort enneigé. On est content d'avoir le matos d'alpi. L'ambiance est superbe avec des nuages qui défilent autour de nous (voir photos en pièce jointe), mais ça nous donne aussi envie de décoller au plus vite avant que ça ne dégénère.
On est de retour au refuge vers 10h pour le déco. Après quelques essais ratés chacun, on arrive enfin à se mettre en l'air. À partir de là, on a droit à un super vol vers la plaine. On atterri 2h plus tard dans un petit village à la frontière avec l'Italie. On est euphoriques, quelle journée ! On trouve un logement in extremis avant que le ciel nous tombe sur la tête. La dame qui nous accueille est super sympa et nous prépare un gullach au sanglier de la forêt d'à côté, génial. On peut enfin se reposer un peu.
Le lendemain, il y a quelques créneaux volable entre les rideaux de pluie. Ça nous permet de rejoindre l'Italie et d'atterrir sur une petite montagne au dessus de Gemona ! Tonio a dû atterrir plus tôt et il me rejoint en stop. On trouve une petite chapelle où s'abriter de la pluie pour la nuit, et une bonne partie de la journée suivante. Enfin le soleil apparaît et on fait un petit vol pour avancer en direction des dolomites. Hier, il a fait encore plus moche, impossible de voler. Du coup Tonio a fait du stop avec nos 2 gros sacs et je l'ai rejoins en marchant un long moment sur la route jusqu'à un col au dessus d'Ampezzo d'où on espérait pouvoir voler aujourd'hui. Sauf il a plu encore plus qu'hier. On a quand même marché jusqu'au décollage dans l'espoir que ça se découvre. On a dû se rendre à l'évidence que c'était impossible de voler. On a continué notre route par un chemin balisé à l'italienne, à savoir du balisage, mais pas de chemin. C'était un bon chantier ???? Ce soir on a pris un logement à Forni Di Sopra pour enfin laver et sécher nos affaires mouillées depuis la Slovénie.
La bonne nouvelle c'est qu'on est maintenant dans les Dolomites, plus que quelques jours avant de rejoindre Eline pour les Tre Cime di Lavaredo !
Heureusement qu'on est à deux, parce que seul ce serait moins marrant d'avancer par une météo pareille. On croise les doigts pour que le temps change ????
10 Juin 2023
Après les jours de pluies, la météo a enfin un peu changé et ça nous a permis de faire un vol jusqu'à Auronzo, au pied des Tre Cime. On y retrouve Eline, une amie grimpeuse qui déborde d'énergie. On a prévu de faire une grande voie avec elle. De base, notre plan était de gravir la face nord de la Cima Grande par la Comici, mais les faces nord sont complètement trempées après ces derniers jours. C'est pourquoi on décide de tenter une voie dans la face sud de la Cima Piccola. Ça a beau être la plus petite des trois Cime, c'est presque la plus belle : un grand pilier élancé avec une raide face sud. Notre voie s'appelle Gelbe Mauer ("mur jaune") et est soutenue dans le 7a, quasiment mon niveau max en grimpe. Ça va être un gros challenge pour mes bras. Heureusement que les 2 autres ont un meilleur niveau et vont pouvoir prendre les devants. Ça fait du bien de se laisser un peu emmener. On est aussi rejoint par Lorenzo, notre caméraman pour l'ascension qui prendra des vues de drone. Il est super sympa et compétent.
Levé à 3h30 pour être au pied de la voie au lever de soleil. Ces temps ci il y a tous les jours des orages l'aprem, mieux vaut être rentré tôt. La voie commence par un 7a qui nous mets dans le vif du sujet. Je suis en mode "économie d'énergie" pour tenter de survivre à toute la voie et je n'hésite pas à tirer sur certaines dégaines. Je suis quand même super fier d'enchaîner une 7a+ et une 7a. Eline fait les 5 premières longueurs en tête sans aucun soucis, puis Tonio passe en tête pour la suite. Les longueurs sont magnifiques. À la 5e longueur en 7a, je commence à exploser complètement et à partir de là ça devient "sauve qui peut". J'ai des crampes aux biceps, mes épaules sont faibles et mes doigts ont beaucoup de mal à tenir les prises. On se fait rattraper par le mauvais temps alors que Tonio finit d'escalader la 9e et dernière longueur dure. Il reste 3 longueurs facile pour atteindre le sommet mais il commence à grêler. On décide de redescendre avant que ça ne s'empire. Dommage pour le sommet mais on a fait la partie la plus dure et la plus belle, on est déjà fier de nous. Notre cordée a marché comme sur des roulettes.
Il faudra revenir dans les dolomites, il y a tellement de parois incroyable à grimper !
Eline nous quitte le soir, on a passé deux jours de dingue avec elle. Lorenzo a pu prendre des images incroyables, j'ai hâte de vous montrer ça. Avec Tonio, on prend un jour de repos avant de redécoller pour notre prochain objectif, le Piz Bernina.
19 June
6 juin 2023
Tonio m'a quitté il y a une semaine pour rentrer en Belgique. C'est un nouveau chapitre qui a commencé !
La météo est avec moi ces derniers jours et ça m'a permis de faire un vol de 4h40 et presque 100km des dolomites en direction de Bolzano. Ça fait plaisir d'enfin faire un grand vol et d'avancer ! Quand on sait que 1h en volant équivaut plus ou moins à une grosse journée de marche, on est content d'être en l'air. Le lendemain, les prévisions sont mauvaises pour l'endroit où j'atterri, et bonne en Autriche. Mais il me reste encore 2 cols à passer pour y arriver... En voiture ce serait 70km. Il est 17h. Est-ce que ça va le faire pour le lendemain matin ? Avec tout mon optimisme, je remonte au plus vite au premier col en espérant pouvoir y décoller et atterrir au pied du second. Quand j'arrive en haut le vent n'est pas dans le bon sens, donc je continue pour mieux me placer. Je sors ma voile, puis il commence à pleuvoir. Merde ! J'ai un petit coup de cafard que Tonio ne soit plus là dans ce genre de moment là. J'attends en espérant que ça passe. À 21h ça s'arrête et je peux décoller juste avant le coucher de soleil. Un vol inespéré qui m'amène au pied du col frontalier. Après avoir atterri, un gars m'aborde, intrigué. Je lui demande pour dormir chez lui et il m'accueille volontiers. On parle allemand dans cette partie de l'Italie et son anglais n'est pas parfait mais on arrive quand même à communiquer, c'est super sympa. Le lendemain il me réveille à 6h15 pour qu'on petit déjeune ensemble. Outch j'aurais bien dormi plus longtemps ! Au moins je suis en route tôt pour rejoindre ce fameux col. Une fois en haut, je passe du brouillard italien au soleil de l'Autriche. Yes ! J'y suis arrivé. L'endroit n'est pas idéal pour décoller parce qu'il y a un petit effet de foehn, avec du vent qui vient de l'Italie. Comme je dois décoller face au vent ce n'est pas top, d'autant plus que je suis "sous le vent" par rapport au col, du côté turbulent donc. Je continue un peu à marcher et trouve un décollage en face du col où je peux m'envoler et m'enfuir de la zone turbulente. Je trouve assez vite une ascendance qui me permet de continuer. Rapidement, le vent qui vient d'Italie est remplacé par la brise qui remonte la vallée.
C'est autant de choses à analyser en l'air qui rendent le vol intense et parfois un peu stressant. C'est loin d'être une activité contemplatrice (en tout cas pour le vol de distance). Il faut avoir tous ses sens au aguets pour observer le mouvement des nuages, des oiseaux, des feuilles et son propre mouvement et en déduire ce qu'il se passe en l'air et où cela peut bien monter. Souvent ça secoue, ça secoue jusqu'à ce qu'enfin, bingo, ça monte vite, à plus de 5 m/s, vers les cieux. Parfois ça descend, très fort, et il faut garder son sang froid et s'échapper au plus vite à un endroit plus accueillant. Il faut puiser dans ses ressources mentales. C'est un véritable jeux d'échec en 3 dimensions, sauf que cela devient très réel quand on a bien ou mal joué. Bref c'est passionnant et très gratifiant quand on se retrouve catapulté au nuage au dessus des glaciers alors qu'on galerait quelques minutes plus tôt au niveau des alpages.
Toujours est il que ce jour là je me pose à Fiss en Autriche, après un vol magnifique. Le lendemain, c'est reparti en direction de St. Moritz. Il me reste 80km. Le vol n'est pas évident mais j'arrive quand même à faire 60km avant de faire une mauvaise décision qui m'oblige à poser. Je mange puis remonte sur un versant plus prometteur et cette fois ci j'arrive jusqu'à Samedan au pied du Piz Bernina, le plus haut sommet des Alpes orientales (4049m). J'y retrouve Agnès, Élise et Albert pour en faire l'ascension.
Juste avant qu'il et elles arrivent, un gars m'aborde alors que je cherche un endroit pour dormir. C'est aussi un parapentiste et il est intrigué par mon gros sac. On sympathise directement et je lui demande si on pourrait squatter chez lui. Jan, c'est son nom, est le patron d'une maison pour ados en apprentissage pour la menuiserie, la maçonnerie et cetera, et il a plein de place dans sa maison donc il peut nous accueillir sans soucis. Génial ! Il organise ce soir là un BBQ avec ses jeunes et il a pleins de restes qu'il nous passe aussi. Du coup quand les autres arrivent, j'ai un véritable buffet à leur proposer, et un logement, quel luxe !
Les amies m'ont ramené le matos d'alpi. On laisse le restant du matériel dont on a pas besoin chez Jan et on part en direction de la cabane Tschierva. Le lendemain c'est un départ à 2h45 avec Agnès et Albert pour gravir la Biancograt au Piz Bernina. Il paraît que c'est une des plus belles arête neigeuse des Alpes et c'est probablement vrai. On a un peu de mal avec l'altitude mais on avance bien. Par contre il y a pas mal de vent et de nuages. J'ai pris un petit parapente dans mon sac, mais j'ai peu d'espoir de décoller du sommet. La fin de l'arête est encore complètement enneigée à cette période, et ça la rend impressionnante et un peu délicate. L'ambiance est incroyable avec les nuages qui défilent autour de nous. Agnès fait toute cette partie en tête et ça se passe nickel. On arrive enfin au sommet qui est lui aussi assez effilé. On redescend ensuite sur le glacier par un autre bout d'arête. Une fois sorti des difficultés, le vent s'est un peu calmé. Contre toute attente, cela semble possible de décoller. Je sors la voile et je décolle avec l'aide d'Albert et Agnès. Quelle sensation !! Je me retrouve en l'air au milieu de ces géants de glace et 23 minutes plus tard, j'atterri dans la vallée. C'est incroyable. De leur côté, les autres prendront 9h de plus à descendre l'interminable glacier. Bravo !
On repasse une nuit chez Jan avant de se quitter. Encore une belle aventure ! C'est vraiment top d'avoir les amis et amies qui me rejoignent sur le parcours ????
Maintenant, je suis reparti en direction du Cervin, le prochain sommet. J'ai pu faire deux beaux vols qui m'ont amené juste en dessous du Furkapass. Ce col marque la moitié de la traversée. Déjà 500km parcourus et 3 sommets, il en reste autant de l'autre côté de ce col. Encore pleins d'aventures à vivre.
1 July 2023
Bonjour tout le monde,
Les 10 derniers jours ont été intenses. Après avoir passé le Furkapass et être entré dans le Valais, la météo a été assez compliquée. Beaucoup de vent, ce qui rend les vols compliqués voire dangereux. Donc j’ai beaucoup marché. C’était un peu frustrant puisque, quand les conditions sont bonnes, c’est un endroit qui est très prisé pour le vol de distance. J’arrive quand même à saisir deux petits créneaux pour voler et j’arrive ainsi jusqu’à Visp, petite ville à l’entrée du Mattertal, la vallée de Zermatt et du Matterhorn (Cervin). J’y retrouve Damien et Alexis, mes compagnons pour le Cervin, et on prend un jour de repos chez Agnès, une amie qui habite à quelques kilomètres de là avec qui j’ai fait le Piz Bernina. Qu’est-ce que ça fait du bien de se poser un petit peu. Je sens que j’accumule beaucoup de fatigue.
Le lendemain, c’est parti pour la cabane Hörnli au pied du Cervin. Les copains vont directement à Zermatt, pendant que je monte à un décollage au-dessus de Visp. J’espère atterrir juste à côté du refuge, du coup j’ai pris tout mon matériel d’alpinisme avec moi. Ça me fait un bien gros sac avec le matos de parapente. Visp se trouve à 600m d’altitude, donc la journée commence par une grosse montée pour atteindre le déco à 2300m. La journée est annoncée stable le matin avec une couche d’inversion. C'est-à-dire que les thermiques sont bloqués par une couche d’air plus chaude et ils ne peuvent pas aller plus haut. En effet, on distingue une couche de brume dans la vallée qui s’arrête net vers 2000m et le ciel est totalement bleu, aucun petit cumulus à l’horizon. Ce n’est pas un très bon signe pour les parapentistes. Il faut attendre que l’air en bas dans la vallée devienne suffisamment chaud pour traverser la couche d’inversion. Je garde le livetracking (un site où l’on peut voir les autres pilotes en l’air en temps réel) à l'œil et j’attend de voir que certains commencent à prendre plus d’altitude avant de décoller. Vers 14h, j’en vois un qui atteint 3000m. C’est bon, la couche a percé. Je décolle. Le vol est néanmoins compliqué. J’ai tout mon barda d’alpiniste dans ma « soute », je me sens bien lourd en l’air. Même si la couche a percé, elle continue de ralentir les thermiques aux alentours de 2000-2500m et en les ralentissant, elle les rend turbulent. Je peine à monter. En me battant un peu, j’arrive enfin au-dessus de 3000m. Voler dans le Mattertal est vraiment impressionnant. Dans les Alpes, c’est ce qui doit se rapprocher le plus de voler en Himalaya. La vallée compte 38 sommets à plus de 4000m (presque la moitié des « 4000 » des Alpes !). Les faces de ces géants sont faites d’énormes parois de rocher et de glace. Plusieurs sommets dépassent les 4500m. Autant dire qu’à 3000m on est encore par terre ici. Il est bientôt 15h et je suis encore en face Est de la vallée, c'est-à-dire la face qui prend le soleil du matin. A cette heure-ci, le soleil devient rasant et les thermiques faiblissent. Je traverse donc la vallée pour suivre le soleil sur les faces exposées ouest. Se faisant, je perd de l’altitude et je me retrouve assez bas. Je me retrouve dans la brise de vallée. Elle est plus forte que ce à quoi je m’attendais. Cela rend les thermiques difficilement exploitables. En plus de cela, un espace aérien barre l’entrée de Zermatt. Il faut être très haut pour le contourner. Je n’ai pas d’autre choix que d’atterrir à quelques kilomètres avant Zermatt. Merde. Il me reste un bon bout à marcher jusqu’à la cabane où les autres m’attendent. Je prends mon courage à deux mains et repars pour les 1600m de dénivelé qu’il me reste. Il est 17h. J’espère y être pour la tombée de la nuit. Je me sens encore en forme. Il y a juste les 400 derniers mètres de dénivelé où cela devient vraiment dur. Avec la fatigue, je sens toutes les émotions qui remontent. Je suis si content d’arriver enfin au refuge à 21h, pile poile pour le coucher de soleil. Je suis au bord des larmes quand je tombe sur les autres et qu’on tombe dans les bras les uns des autres. Quelle journée ! 3300m de dénivelé positif avec 25kg sur le dos, je m’en souviendrai.
Nous sommes 5 au refuge. Dam, avec qui je compte faire l’ascension. Alexis et Quentin forment une autre cordée. Et Dom, un ami de longue date qui va nous filmer. On ne tarde pas à aller nous coucher avec un réveil à 3h15. Mon cœur bat encore la chamade de l’effort de la journée, puis je finis enfin par sombrer.
Le réveil sonne. C’est reparti. On part à la file indienne sur l’arête Hörnli. Alexis et Quentin ont bien repéré le départ la veille et on suit « la grand voile » comme ils disent. Dam m’a averti qu’il avait quelques problèmes au dos et aux jambes depuis peu et qu’il avait un peu d’appréhension pour la course, d’autant qu’il n’a plus fait d’alpi depuis un moment. Je l’ai à l'œil. A un moment je lui demande comment il le sent. « Je suis pas très bien là. Je pense que c’est pas une bonne idée pour moi de continuer ». Je m’y attendais un peu, et je respecte tout à fait son choix. Je suis surtout déçu de ne pas aller au sommet avec Dam. On a fait tellement de sommets ensemble. Ça aurait été beau de faire celui-ci à deux. Il fait demi-tour ici, il est encore possible de rentrer au refuge par une arête facile.
Nous continuons sur l’arête à 3. Les 2 autres ont moins d’expérience en montagne, surtout Quentin pour qui c’est sa première course d’alpinisme ! Au départ, je pense aller au sommet en solo, ce n’est pas un itinéraire très technique, et les laisser faire leur cordée à deux. On finit par s’encorder à trois, c’est mieux ainsi. On atteint le bivouac Solvay, perché à 4000m, où l’on laisse une partie de notre matériel. Il fait déjà chaud et la neige commence à ramollir. Cela me fait un peu peur pour la descente, mais je pense qu’on a le temps d’aller au sommet. On y arrive vers 10h30. On est seul, c’est génial ! Quelle première expérience pour Quentin ! On redescend aussitôt. La descente s’avère très longue avec de la neige molle. C’est un peu un terrain de chamois, il faut avoir l’habitude de crapahuter avec des crampons et de cramponner dans différentes neiges pour être rapide. On prend notre temps pour faire les choses bien. On finit par arriver à la cabane à 17h30. Encore une belle journée, merci les gars !
Je redécolle le lendemain du refuge et arrive à monter sur les flancs du Cervin aux côtés d’un rapace. Un moment magique. Je fais un petit coucou à des alpinistes avant de m’en aller pour la suite de la traversée. Aujourd’hui, le vent météo vient de l’ouest, pile la direction dans laquelle je dois aller. Ce vent de face rend le vol très compliqué. Cette fois-ci j’ai appelé l’héliport de Zermatt pour obtenir l’autorisation de traverser l’espace aérien à l’entrée de Zermatt. J’arrive à retourner dans la vallée du Rhône mais impossible d’aller plus loin, je me heurte à un mur de vent de face. J’atterri là. Le lendemain, j’espère pouvoir rejoindre le Châble, où habite ma sœur, pour pouvoir prendre quelques jours de repos bien mérités. Je monte de bonne heure à un décollage et fait un premier vol avec des thermiques assez faibles : encore une couche d’inversion aujourd’hui, c’est typique de la canicule. Je suis très bas à Cran-Montana, j’atterri pour remonter à pied. L’espace aérien de l’aéroport de Sion interdit tout le bas de la vallée aux parapentes. Il faut que je sois plus haut. Je me remets en l’air un peu plus tard, les plafonds sont plus hauts et j’arrive à avancer encore un peu, malgré le vent encore de face. Je fini par atterrir à la limite de l’espace aérien, pour me rapprocher au plus possible de chez Mathilde. Il me reste une vingtaine de kilomètres et 1300m de D+ pour atteindre un décollage d’où je pourrais voler jusque chez la sista. Je tente le coup, même si je ne suis pas sûr d’y arriver avant la nuit. Dans la dernière montée, j’accélère. Ça va se jouer à quelques minutes près. Mes jambes sont encore bien fonctionnelles après ces derniers jours mais ma tête se demande un peu pourquoi je m’inflige ça. Arriver au col, je cours encore jusqu’à trouver un déco. Il est 21h30. Il est autorisé de voler jusqu’à 30 minutes après le coucher de soleil, soit 21h55. Je me dépêche pour préparer ma voile. Le vent n’est pas top mais ça devrait le faire. J’arrive à me mettre en l’air. Là, c’est l’euphorie. En un coup tout l’effort de la journée a du sens. J’ai réussi. C’était pas une journée facile pour voler, j’étais vraiment pas sûr d’y arriver. J’atterri quelques minutes plus tard juste à côté de chez Mathilde. Wouhouuuuu !!!
Cette fin de semaine, je prends quelques jours de repos bien nécessaires avant le Mont Blanc. Il ne fait pas très beau donc ça tombe bien. On espère qu’il ne va pas trop neiger et qu’on pourra faire la voie que l’on a prévu : une magnifique escalade en face sud. L’avenir nous le dira !
5 juillet
Je vous écris depuis un petit refuge cosy, à l'extrémité du Beaufortain. Jour de repos aujourd'hui. Il fait beau mais les conditions ne sont pas top pour voler à cause du vent. J'hésite toujours un peu à continuer quand c'est comme ça. J'ai envie d'avancer encore et encore mais là je me sens crevé. Alors j'écoute les amis et je prends soin de moi.
Cette traversée, c'est fatiguant physiquement, mais surtout, c'est fatiguant mentalement. Je vois ça comme si j'avais un nombre limité de points de vie, c'est ma réserve mentale. Quand ma réserve est pleine, je suis un guerrier; je peux voler sereinement dans de la turbulence, grimper loin au dessus d'une protection si nécessaire et marcher jusqu'à la nuit. Quand elle est vide, je me sens fragile, tout me demande plus d'effort et je panique plus vite. Ma réserve fluctue au fil des événements. Je perds des points de vie si je vole dans des grosses turbulences ou que je grimpe loin au dessus d'un point, tous ces moments qui demandent toute ma concentration et mon sang froid. Les dizaines de décisions à prendre chaque jour, sur quelle montagne aller pour le prochain décollage, où dormir, s'assurer que les copaines soient là pour le prochain sommet; tout ça vient également puiser dans la réserve. Alors quand elle est vide, il me faut des moments tranquilles pour la remplir à nouveau.
J'ai quitté Mathilde au Petit col Ferret, à la frontière entre la Suisse et l'Italie. Elle m'a accompagné jusque là et puis on s'est séparé sous la pluie et le vent. J'ai continué jusqu'à un bivouac sous le Mont Dolent. Deux alpinistes dormaient déjà lorsque j'y suis arrivé à 19h. J'ai pris mon repas en silence puis je me suis couché tôt. Le lendemain, après un court vol matinal, j'ai retrouvé Tonio et Gaspard, qui s'acclimatent pour faire le Mont Rose, et Lolotte avec qui on compte faire le Grand Capucin. Notre plan de base était d'aller au Mont Blanc par le pilier central du Freney, une voie mythique dans la face Sud avec du rocher presque jusqu'en haut, mais il a neigé ces derniers jours en altitude et on a dû changer de plan. Je suis un peu déçu de pas aller au Mont Blanc, mais je l'ai déjà fait plusieurs fois alors que je n'ai jamais été au Grand Cap', ce monolithe de granite de 400m de haut à 3800m au milieu de la vallée blanche. Sa très raide face Est a été gravie pour la première fois par Bonatti et Ghigo en 1951. C'est leur voie qu'on compte escalader.
4h, on est au pied de la paroi. On attaque les premières longueurs à la frontale. L'équipement de la voie est "traditionnel" (trad pour les intimes), ça veut dire qu'on place nous même les coinceurs pour y faire passer la corde et s'assurer, et qu'il y a aussi des pitons par endroits (dont on se méfie toujours un peu). Le second récupère tous les coinceurs et on ne laisse rien en place. C'est très pur comme manière de grimper, par contre il faut placer soi-même les protections. Ça veut dire que si t'es loin au dessus de la dernière protection, il faut trouver rapidement une fissure où placer un coinceur, si possible à un endroit où l'on ne se fatigue pas trop. S'il n'y a pas de fissure adéquate ou que l'on est dans une position trop fatiguante, il faut garder son sang froid et continuer à grimper jusqu'à un meilleur endroit ou bien désescalader un peu. C'est engagé : quand t'es quelques mètres au dessus du dernier point, il faut assumer; paniquer ne sert à rien à part te fatiguer davantage. Les relais où on se rejoint après chaque longueur sont quand même équipés de spits, c'est à dire des points assez récents et très solides. Cela peut paraître très dangereux, mais en réalité on place pas mal de protections et la conséquence d'une chute est généralement moins grave que lorsqu'on gravit une arête plus facile avec beaucoup de vide de chaque côté (où l'on place moins de protection en pratique et où les 2 grimpeurs escaladent souvent en même temps).
Chacun à notre tour, on grimpe une longueur en tête. Assez rapidement, je sens que ce n'est pas mon jour. Je sens mon réservoir mental déjà presque vide, et mes bras pas franchement vaillant après un mois sans grimper. Je tremble dans les longueurs du début en 6a, alors que des parties bien plus dures nous attendent. J'ai peur de la suite. Heureusement, on peut facilement redescendre en rappel si je flanche. On fait assez rapidement les 5 premières longueurs qui sont en fait une approche pour arriver dans la "Bonatti" à proprement parlé; le recul du glacier nous fait grimper un peu plus. C'est ici que la voie commence pour de vrai. À la 9e, puis à la 11e longueur, je livre un combat pour arriver au bout de la longueur en tête, d'abord dans un pas très athlétique pour contourner un toit, puis dans une dalle avec des toutes petites prises de pieds et une fine fissure pour les mains. Mes bras ne répondent plus, pas plus que ma tête qui est vidée. À ce moment là, je suis dépité. Pendu dans mon baudrier au milieu de cette paroi, je ne vois vraiment pas par quel miracle on va pouvoir arriver en haut des 9 longueurs suivantes. Lolotte de son côté est en pleine forme, elle gère super bien chaque longueur et à l'air de prendre beaucoup de plaisir. Je lui dis que dans mon état je ne suis juste plus capable de faire de longueur en tête, d'autant que les longueurs du dessus sont les plus dures.
À partir de là, Lolotte a complètement pris le lead, y compris dans deux 7a bien corsés, pendant que je m'efforçais de suivre, en tirant parfois allègrement sur les points. Longueur après longueur, on a continué ainsi. Et puis, finalement, on est arrivé en haut. Incroyable. Inespéré.
Je ne sais pas comment qualifier cette ascension. Honnêtement, de mon côté, ce n'était pas que du plaisir. Vu mon état au début de la voie, c'est une des fois où j'ai été puiser le plus loin dans mes ressources mentales. Je suis fier d'être arriver en haut. J'étais convaincu d'en être incapable à la 5e longueur, alors qu'il en restait 15. Je suis super reconnaissant envers Lolotte d'avoir pris les devants, elle a été magistrale. Merci ! Avec un Guigui un peu plus en forme, ça sera une cordée d'enfer.
Le lendemain, j'ai décollé du côté Italien pour un vol incroyable dans la face Sud du Mont Blanc. Quelle sensation de survoler l'Intégrale de Peuterey, la plus belle voie qu'on ait fait avec Loïc (l'été passé). J'ai continué mon vol jusque dans la Tarentaise puis je suis remonté à pied jusqu'au refuge du Nant du Beurre où je me repose maintenant. Le changement d'ambiance est saisissant, des glaciers et pics acérés aux montagnes douces couvertes de fleurs. C'est génial de pouvoir se poser dans un cadre si apaisant.
Mon prochain objectif est le Viso vers lequel je me dirige maintenant.
20 juillet
J'ai quitté mon havre de paix du Beaufortain avec un vol peu confortable qui m'a amené à poser à Moutiers, l'endroit le plus encaissé de la vallée de la Tarentaise. Après un atterrissage un peu sportif, je dois prendre une décision : où aller ensuite pour rejoindre la Maurienne puis Briançon et le Viso ? Je décide de prendre l'option la plus directe mais aussi avec le plus de distance et de dénivelé avant de pouvoir redécoller. Je suis au fin fond de la vallée et les premiers 15km pour remonter ne sont vraiment pas idylliques. Il y a peu de chemin pour randonneurs à cette altitude-ci et je me retrouve à marcher sur la route pendant un long moment. Quand enfin je commence à rejoindre des chemins plus agréables, une famille anglaise m'aborde.
"Are you going to jump ?"
Je commence à leur expliquer mon voyage, ils sont super impressionnés et curieux.
"Do you have a garage where I could put my mattress tonight ?"
"We even have a bed if you want !"
15 minutes plus tard, je me retrouve douché, avec un lit king size pour la nuit et une bière en main. Quel plaisir après cette journée ! Je suis reçu comme un roi et on passe une super soirée à échanger. Le lendemain, c'est un peu à contre-coeur que je repars tôt pour profiter du petit créneau de vol qui se profile le matin. En arrivant au col qui me permet de basculer sur la Maurienne, j'hésite un peu à décoller. Il y a pas mal de vent de face et la vallée que je dois traverser est une des pires des Alpes pour le parapente avec ses lignes électriques dans tous les sens. Je repère quand même des atterrissages potentiels mais j'espère pouvoir traverser la vallée sans poser au fond. Je décolle et trouve un petit thermique que je travaille au corps. Il m'emmène à plus de 3000m. ça devrait le faire pour arriver en face ! Je transitionne sur Valloire où je me pose. Un petit vol qui m'épargne une longue descente et une longue montée, chouette !
Au col suivant, j'arrive dans les Alpes du Sud et un petit vol m'emmène au col du Granon, au-dessus de Briançon. J'ai rdv avec Sam le lendemain pour faire l'ascension du Viso. Il me reste 50km à vol d'oiseau. Cela semble faisable au vu des prévisions mais quand j'arrive au décollage, 2 gars s'envolent devant moi et font un tas magistral (dans le jargon du parapente, un tas c'est un vol où on arrive pas à monter et où on doit aller atterrir directement en fond de vallée; un échec en vol de distance). Si je fais pareil, impossible de rejoindre Sam aujourd'hui. Je décolle concentré, déterminé à bien voler. A peine en l'air, je perds plusieurs dizaines de mètres. Meeerde. Puis je trouve le petit thermique qui me remonte. Je m'applique pour bien centrer son cœur, l'endroit qui monte le plus. C'est tout en sensation, puisqu'il est invisible évidemment. Les bip-bip de mon vario m'aident et m'encouragent, puis un rapace me rejoint dans l'ascendance, génial. Il y a déjà pas mal de brise pour cette heure matinale, puis à une certaine altitude, le vent change du tout au tout, passant d'une brise d'Est au vent météo d'Ouest. J'essaie de rester le plus haut possible pour me faire pousser par le vent météo et traverse dans le Queyras. Un thermique bien couché par la brise m'emmène à plus de 3000m. Je passe à quelques mètres de randonneurs qui atteignent un sommet, on se fait des signes de la main, puis je continue ma route. Je passe un dernier col et me voilà au-dessus d'Abriès. J'atterri au bout de la route qui mène au refuge du Viso. Yes !! C'était un beau vol.
Sam me rejoint un peu plus tard et nous voilà en route pour le refuge. Notre plan est de gravir le Viso par la traversée Berhault. Le légendaire alpiniste Patrick Berhault en a fait la première hivernale pendant sa grande traversée des Alpes. Du Triglav à Nice, il a grimpé 22 voies mythiques et fait le reste à pied ou à ski, en 6 mois. Évidemment, ma propre traversée est un peu inspirée de la sienne et terminer par la traversée Berhault est un petit clin d'œil à son voyage. La voie emprunte tous les sommets de la chaîne N du Viso. C'est une longue arête qui se parcourt d'habitude en plusieurs jours. On compte la faire à la journée, donc on a pas pris grand chose dans nos sacs, juste le nécessaire.
On quitte le refuge vers 3h50 en direction du premier sommet. Je la sens bien cette journée. En montagne, c'est beaucoup une affaire d'émotions et de sensations. Il y a des jours où on est pas dedans, où la montagne fait peur, où on a un peu le cafard à l'idée de se lancer dans une grande course. Puis il y a des jours de montagne joyeuse, où l'on est grisé par ce qui nous attend, on se sent bien avec soi-même et ce qu'il y a autour. Aujourd'hui, c'est la montagne joyeuse.
On arrive rapidement au premier sommet. On voit ce qui nous attend aujourd'hui, avec le Viso au loin. On avance vite dans la pénombre. C'est un terrain relativement facile où on est tous les 2 très à l'aise, et on évolue sans corde. C'est une succession infinie d'escalade et de désescalade, toujours à l'affût pour trouver le chemin le plus facile. Physiquement, on sent tous les 2 la fatigue : Sam sort tout juste de la semaine "montagne" (qu'il a réussi avec succès), une semaine intense qui clôture l'examen probatoire pour commencer le cursus de guide de haute montagne. Après 7 heures de course, on atteint le pied du Visolotto, ultime sommet avant le Viso. On se perd un peu dans le dédale de couloirs et d'éperons. Le terrain commence à devenir fort escarpé, aussi sortons nous la corde. On retrouve un bon itinéraire qui nous amène au Visolotto. Encore une heure de désescalade et 2 rappels et on atteint le col juste avant le Viso. On est tous les deux bien entamés, au bord de l'hypoglycémie. On s'arrête un bon moment pour manger, boire et faire une petite sieste réparatrice. On repart en pleine forme, ou presque, pour la dernière partie. On gravit en corde tendue un bastion rocheux plus difficile puis avant de s'attaquer aux sections enneigées qui me faisaient un peu peur depuis le refuge. Je n'ai qu'une paires de baskets toutes trouées pour l'ascension, le restant du matos étant resté dans le massif du Mont Blanc. Finalement Sam passe devant pour faire de belles marches, ça passe sans soucis et on se retrouve en 2 temps 3 mouvements au sommet, 13h30 après avoir quitté le refuge. Dernier sommet de la Paralpine, c'est incroyable !! Encore une belle aventure, merci Sam. Le panorama est magnifique avec l'Italie baignée dans les nuages. On devine même la Méditerranée au fond, ultime étape du voyage !
24 juillet
Je suis bien arrivé à la mer hier après plus d'un mois et demi de voyage depuis la Slovénie ! C'était riche en aventures en tout genre et on a pu grimper 6 sommets sur la route avec des copains et copines, c'était intense et passionnant. La Base 2 lite et la Anda ont été de très bons compagnons de route pour arriver jusqu'ici, encore un grand merci !
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